publication des livres des chercheurs du CHS, histoire sociale, histoire urbaine, histoire culturelle, guerre d'Algérie, CNRS, universite Paris1, "Centre d'histoire sociale"
Histoire de l'Algérie à la période coloniale
1830-1962
sous la direction de
A. Bouchène, J.-P. Peyroulou, O. Siari Tengour,
Sylvie Thénault
Plus de cinquante ans après la fin de la guerre d'indépendance algérienne, cette vaste fresque de l'Algérie coloniale, replaçant la guerre d'indépendance dans le temps long – car c'est bien dans la longue durée que le conflit s'enracine – est plus que jamais essentielle pour mieux comprendre la situation actuelle dans les deux pays, ainsi que leurs relations depuis 1962.
Dans ce cadre historique, cet ouvrage, écrit principalement par des historiens (algériens, français et d'autres nationalités), met à disposition des lecteurs les travaux les plus récents, qui tiennent compte des interrogations actuelles des sociétés sur ce passé. Il entend questionner comment l'histoire de ces deux pays et de ces populations s'est nouée, dans des rapports complexes de domination et de violence, mais aussi d'échanges, dans les contextes de la colonisation puis de la décolonisation. Il s'agit, enfin, d'interroger les héritages de ces cent trente-deux ans de colonisation qui marquent encore les sociétés algériennes et françaises.
Paris, La Découverte/Poche, février 2014
coll. «Essais n° 400»
125 x 190mm • 717 pages
isbn 978-2-7071-7837-4
prix : 16 €
Nous vous proposons ci-dessous quelques extraits de l'ouvrage accompagnés d'illustrations
• Fadhma N'Soumeur, une femme en guerre par Zineb Ali-Benali
Les subalternes peuvent-elles parler? » La question de Gayatri Chakravorty Spivak, titre d'un des textes fondateurs des études postcoloniales, Can the Subaltem Speak?, peut être reprise à propos d'une femme algérienne, Fadhma N'Soumeur (1830-1863), qui participa à la résistance armée en Kabylie contre la conquête française pendant une dizaine d'années jusqu'à la défaite du mouvement en 1857. Née au cœur d'une Kabylie non encore occupée, mais qui était déjà touchée, de plus en plus directement, par ce qui depuis le début la débordait de tous côtés, elle participa à la lutte contre l'avancée de l'armée de conquête, aux côtés de son père, Si Tayeb, qui dirigeait la zaouïa d'Ourdja, et de ses frères, Si Ahmed, Si Tahar, Si Chérif et Si el-Hadi. De 1854 à 1857, c'est le cœur de la Kabylie qui a résisté, selon des modalités alors les seules possibles, déterminées par la féodalité et de maraboutisme (ce sera encore le cas en 1871). => p. 137
<= Le territoire de la Mitidja au XIXe siècle et, dessous, vue de Blida
• L'exploitation de la Mitidja, vitrine de l'entreprise coloniale ?
par Marc Côte
[…] Un territoire hostile, difficile à mettre en valeur
À la veille de la colonisation, cette plaine avait pour elle un atout fondamental et une faiblesse indéniable. L'atout était sa localisation, près du littoral méditerranéen et aux portes d'Alger, capitale du pays depuis plus de trois siècles. Un bassin agricole aux portes d'une grande ville, le premier nourrissant la seconde, la seconde organisant le premier, c'était là une complémentarité bénéfique dans tout le bassin méditerranéen. Les autorités ottomanes l'avaient bien compris, qui avaient structuré le territoire algérien en trois beylik (Ouest, Centre, Est), mais avaient créé pour Alger et la Mitidja une circonscription particulière, gérée directement par le pouvoir central, le Dar es-Soltane.
Cette plaine avait toutefois une faiblesse : c'était un terroir difficile à mettre en valeur, constitué de terres lourdes, souvent marécageuses. Cet ancien bras de mer, en arrière des collines du Sahel, avait été progressivement remblayé par les alluvions des cours d'eau descendant de l'Atlas blidéen. Cependant, ce processus de remblaiement était contrarié par un phénomène de subsidence, c'est-à-dire d'enfoncement progressif sous le poids des sédiments. Ainsi, les différents oueds (Nador, Djer, Chiffa, El Harrach, Hamiz) découpaient la plaine en cinq ou six bassins mal exondés et séparés par des seuils imperceptibles. De ce fait persistait, jalonnant le pied des collines du Sahel, un axe de marécages, étirés sur 70 km d'ouest en est. Seules les collines du Sahel (et leurs jardins maraîchers) et la partie méridionale de la plaine, constituée en piémonts bien égouttés, étaient mises en valeur depuis longtemps, tel le piémont de Blida et ses célèbres orangeraies. On comprend donc les différences de jugements portés sur la Mitidja, selon que l'observateur regardait les paysages de Blida ou les bas-fonds de la plaine centrale. => p. 270-271
• Abdelhamid Ben Badis et l'Association des oulémas
par James McDougall
Parmi les différents mouvements, courants d'idées et lignes de clivage qui émergèrent dans la société algérienne de l'entre-deux-guerres, l'un des plus difficiles à caractériser reste le mouvement de la réforme islamique (Islah) porté par l'Association des oulémas (en arabe 'ulama, au singulier 'alitn ; docteur de la loi). Groupés à partir des années 1920 autour du cheikh Abdelhamid Ben Badis (1889-1940) et son successeur à la tête de l'Association Bachir El-Ibrahimi (1889-1965), les oulémas réformistes (tnuslihin) formèrent à la fois une association intellectuelle de lettrés religieux, un mouvement social de renouveau moral et de prosélytisme doctrinal, un réseau d'écoles, d'éducateurs et d'étudiants, un lieu de sociabilité et de socialisation. L'association fut aussi un groupement politique porteur de revendications liées tout d'abord aux questions de culte, mais aussi à celles de langue, de droit et, en fin de compte, à celle de l'indépendance nationale. => p. 387
• Les médinas, lieux d'inscription de la culture musulmane : l'exemple de Nédroma
par Gilbert Grandguillaume
Dans le paysage urbain de l'Algérie, il est important de distinguer les villes qui existaient avant la colonisation (les « médinas », francisation de leur nom arabe madîna) de celles que le pouvoir colonial créa de toutes pièces, comme Sidi Bel Abbés. Nédroma, fondée au XIe siècle dans l'extrême ouest de l'Algérie d'aujourd'hui, fait ainsi partie de la grande famille des médinas caractéristiques du monde musulman – comme Tlemcen et Constantine en Algérie, Fès au Maroc ou Kairouan en Tunisie. Alors qu'au Maroc les villes européennes furent établies à côté des médinas pour préserver celles-ci, en Algérie un tel souci n'exista pas et beaucoup de traces de ce passé précolonial ont été effacées. Ce ne fut pas le cas de Nédroma (32 500 habitants en 2008) qui, à part ses remparts, a conservé l'essentiel de sa structure jusque dans l'entre-deux-guerres et même au-delà, représentant encore aujourd'hui l'un des lieux de mémoire de l'Algérie.
Le modèle de la ville musulmane
La médina est, par rapport à son environnement tribal ou rural, un lieu d'excellence de l'islam, dont le modèle sophistiqué, au Maghreb, remonte aux premiers siècles de son expansion (VIIe-Xe siècles). Ses activités sont classiquement, selon l'expression de Jacques Berque, l'artisanat, le commerce et l'étude. Elle est aussi le lieu d'un pouvoir qui se légitime de l'allégeance des savants (oulémas).
Dès l'origine, le centre de la ville était la mosquée cathédrale (al-djâma' al-kebir), où avaient lieu la prière du vendredi et la prédication (khotba), pour la distinguer des mosquées de quartier ; son annexe était le hammam, nécessaire pour les purifications liées à la prière. Dans certains cas était adjointe une madrasa, lieu d'enseignement pour les étudiants. La mosquée était entourée du quartier commercial, le « souk » (sûq), avec ses différentes spécialités de métiers. Au-delà du souk, se tenaient les quartiers d'habitation eux-mêmes, structurés selon des liens familiaux, voire ethniques. Ces quartiers préservaient une certaine privauté, dans la mesure où ils étaient articulés sur des impasses : aucun étranger au quartier n'était censé s'y rendre sans raison particulière. Souvent une mosquée locale permettait à ses habitants d'y faire la prière et de s'y réunir. La plupart de ces villes étaient entourées de remparts (sûr). Généralement s'y adjoignait une citadelle (qasbalt), dont la position dominante devait assurer la protection de la ville et qui abritait la résidence du prince.
Ces villes étaient le lieu d'une activité économique intense. L'artisanat (du textile, du cuir, du bois, etc.) produisait des biens qui alimentaient le marché. Le commerce, autre activité majeure, s'alimentait de biens produits localement et dans les campagnes environnantes ou importés d'autres régions. […] => p. 428-429
Ce que la presse en dit…
«Épouser les reliefs, les paradoxes, la singularité des hommes et des situations, c'est le pari réussi de cette synthèse intelligemment pensée.» (Le Monde des livres, Julie Clarini)
«Un outil exceptionnel pour la compréhension de cette aventure commune. Un vrai état des connaissances sur le sujet.» (Le Nouvel Observateur, Laurent Lemire)
«"Livre événement" en mesure de renouveler le champ référentiel d'une histoire commune.» (El Watan, Ameziane Ferhani)