publication des livres des chercheurs du CHS, histoire sociale, histoire urbaine, histoire culturelle, guerre d'Algérie, CNRS, universite Paris1, "Centre d'histoire sociale"
La collaboration
Vichy, Paris, Berlin, 1940-1945
Thomas Fontaine et Denis Peschanski
Paris, Tallandier, novembre 2014
250 x 287, 320 p. coul. illustrées [600 documents]
isbn : 979-10-210-0719-2
isbn archhives nationales : 978-2-86000-366-7
pris : 39,90 €
Le 24 octobre 1940, sur le quai de la gare de Montoire, Pétain serre la main de Hitler. La France a fait le choix de la collaboration.
Mais qui a intérêt à collaborer? Les Français ou les Allemands? Qui en sont les acteurs? Quel rôle jouent les ultras? Qui s’est enrichi? Quelle est I ampleur de la collaboration militaire? Quel rôle a joué Vichy dans la déportation des Juifs de France et dans la répression de la Résistance? A quel point intellectuels et artistes se sont-ils compromis?
Près de 600 documents — affiches, rapports, lettres, journaux intimes, insignes, tracts, procès-verbaux, mains courantes, pièces à conviction, registres d’écrou, albums photographiques, objets, etc. - sont ici rassemblés et commentés, suivant une trame chronologique, de juin 1940 à avril 1945. Fonds exceptionnels des Archives nationales, séries du contre-espionnage encore inexploitées du Service historique de la Défense, dossiers des Brigades spéciales des Renseignements généraux à la préfecture de police, pièces d un des collectionneurs les plus importants de la place de Paris : avec ces archives, pour beaucoup inédites, c’est la collaboration sous toutes ses formes qui est présentée. Une somme qui fera date.
Les auteurs
Thomas Fontaine, historien, a soutenu en 2013 une thèse majeure sur la déportation de répression. Fin connaisseur des archives françaises et allemandes, il est aujourd’hui une référence incontournable sur le système d occupation en France, comme sur la mémoire de la guerre.
Denis Peschanski, historien, est directeur de recherche au CNRS. Par ses nombreux ouvrages et ses films, il est devenu un spécialiste de renommée internationale sur la France des années noires.
Extraits
10 juillet 1940
L’État français est né du maelström de la drôle de guerre, de la défaite et de l’exode. L’armistice du 22 juin est le véritable acte de naissance du nouveau régime, le 10 juillet sa conséquence. Avec Pierre Laval à la manœuvre, l'Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs constitutionnels à Philippe Pétain. Dans les actes qui sont promulgués dans la foulée, Pétain s’auto-proclame chef de l’État français (acte n° 11, mais c’est l’acte n° 2 qui signe la mise en place d’un régime autoritaire : il lui permet de cumuler les pouvoirs exécutif et législatif.Les fondements idéologiques s’inscrivent dans la tradition de l’extrême droite française : exclusion des soi-disant responsables de la défaite (le communiste, le Juif, le franc-maçon), rassemblement des éléments dits purs autour des valeurs traditionnelles (travail famille, patrie, piété, ordre). La dualité est parfaitement illustrée par I’affiche si largement diffusée par le Centre de propagande de la Révolution nationale, opposant les deux maisons France, celle du passé qui sombre et celle, bien droite, qui prépare l’avenir.
Février 1941 Les principaux partis collaborationnistes se structurents
Le 2 février 1941, à la salle Wagram à Paris, le tout nouveau Rassemblement national populaire (RNP) tient sa première réunion publique. Désireux de fonder son propre mouvement depuis l’échec de sa tentative de parti unique, Déat prend l’initiative. Il est poussé par Abetz qui, après l’éviction de Laval (qui soutient discrètement l’opération), souhaite la création dune structure collaborationniste la plus large possible, véritable contrepoids au gouvernement de Vichy. Le RNP est ainsi la réunion des soutiens de Déat, venus de la gauche, de l’Union nationale des combattants de Jean Goy (la plus grande des associations d’anciens «poilus» de la Première Guerre) et du Mouvement social révolutionnaire (MSR) d’Eugène Deloncle et ses cagoulards, fondé en octobre 1940.
Le RNP se positionne d emblée en acteur majeur : face à l’échec de Vichy, les collaborationnistes doivent imposer la «Révolution nationale». L’Œuvre du 2 février annonce : « C’est dès aujourd'hui qu’il convient d’imposer aux dirigeants français la politique révolutionnaire et collaboratrice de salut. Vichy, tel qu’il est, ne nous laissant plus aucun espoir, il convient d’imposer les hommes nouveaux susceptibles de provoquer cette politique.» Seule idée commune : la collaboration avec l’Allemagne, premier point du programme du RNP.
3 décembre 1942
Les sections d'enquête et de contrôle, au service du CGQJ
<= Carte d’inspecteur des SEC de la région de Lyon.
Sous la houlette de Pucheu, secrétaire d’État à I’Intérieur, le gouvernement, mis en place par Darlan en1941, avait défini I’étatisation des polices comme I’une de ses priorités. Cette forme de centralisation avait pour objectif de donner, à I’État, enfin le plein contrôle sur une police encore largement municipalisée. Cela passait en particulier par la mise en place de polices régionales d’État. Cherchant aussi des instruments plus à sa main pour combattre les ennemis proclamés du régime, il avait institué trois polices parallèles à dimension nationale, le Service de police anti-communiste (SPAC), le Service des sociétés secrètes (SSS) et la Police des questions juives (PQJ). Le risque était leur autonomisation sous la houlette de petits potentats, d’autant que ces polices avaient été colonisées par des collaborationnistes convaincus, PPF en tête. Avec le retour de Laval, I’objectif change : si la centralisation des polices n’est évidemment pas remise en cause, le pouvoir réel doit revenir à I’administration traditionnelle, efficacité oblige, doutant que la PQJ, par exemple, se fait connaître par ses excès en tous genres. Le paroxysme est atteint au moment des grandes déportations de l’été 1942…
8 août 1943
Doriot parade avec ses gardes françaises
Avant de repartir pour le front de I’Est, Doriot a chargé Jean Fossati, son adjoint, de suivre les discussions lancées par Déat pour la création du Front révolutionnaire national (FRN). Sa consigne est claire : refuser I’unification, malgré les souhaits de I’ambassade d’Allemagne, toujours derrière le chef du RNP Fossati a cru pouvoir aller jusqu’à la participation du PPF à un comité de coordination. Furieux, craignant une fusion, Doriot revient en urgence à Paris le 22 juillet. Les discussions avec les autres partis sont aussitôt interrompues; le PPF en reste à sa stratégie solitaire. Le 8 août, Doriot harangue ses troupes lors d’un meeting rapidement organisé au Vel d’Hiv : le peuple français « attend d’être guidé vers son destin d’une main ferme», annonce-t-il pour souligner de nouveau ses ambitions. Pour démontrer une fois de plus la force du PPF, Doriot annonce la formation des Gardes françaises : 1 500 hommes recrutés en région parisienne. À I’issue du meeting, les douze premiers bataillons défilent sur les Champs-Elysées, suivis des membres du bureau politique et de Doriot, paradant dans sa voiture découverte.
6 avril 1944
« Ils sont partout », le dessin politique au service de la collaboration
Pour la plupart, les caricaturistes des journaux collaborationnistes de la zone Nord sont de véritables combattants, armés de leur crayon – notamment Bogislas (Maurice Jost, dit), André-René Charlet, Dassier, Enem, Léon Kern, Michel Jacquot, Raymond Jeannin ou Seyssel. Beaucoup viennent des rangs de I’extrême droite et publiaient déjà avant la guerre. Le dorioriste Ralph Soupault est sans doute un des plus «ultras». Si sa production inonde la plupart des journaux collaborationnistes, c’est avant tout le caricaturiste attitré de Je suis partout. C’est ce que rappelle, début avril 1944, le titre de son album, tiré à 10000 exemplaires, réunissant la plupart de ses compositions. Rebatet, son ami et ancien compagnon de I’Action française, qu’il salue dans cette dédicace, en signe la préface.
6 janvier 1945
Le comité de libération française. Doriot enfin au pouvoir ?
<= Dans les scellés de Le Can, fidèle parmi les fidèles, se trouve cette photographie étonnante de Doriot, en uniforme de la LVF et l'arme à la main, souriant au milieu de ses camarades de combat. De fait, depuis la création de la LVF, il a passé près de dix-huit mois au front. C'est dans une voiture de ce type qu'il est mitraillé le 22 février, sur la route de Mengen.
C’est de l’île de Mainau, sur le lac de Constance où il est replié, et non pas à Sigmaringen, que Doriot répond aux vœux qui lui ont été adressés par un certain Fonjallaz, sans doute apparenté à Arthur Fonjallaz, le fondateur de la Fédération fasciste suisse, décédé en 1944. Il lui annonce qu’il a enfin pris la tête d’un «Comité de libération française» le 6 janvier 1945. Il a longtemps attendu un signe et il est venu de Ribbentrop qui souhaitait sa nomination. Pétain refusant obstinément d assumer ses fonctions, le ministre des Affaires étrangères du Reich doit d’abord passer par-dessus Brinon qui s accroche à son mandat de presque chef d’un mini gouvernement. Il donne donc le feu vert à Doriot pour créer ce comité-là encore explicitement inspiré du (contre-)modèle gaullien.