• Les orphéons, chant choral aux origines de l'histoire des festivals, en France.

     Nous vous proposons cet article pour illustrer textuellement ce que pouvaient représenter les orphéons, qui furent à l'origine des premiers festivals, en France, au XIXe siècle. Société de chant choral ou fanfare, les orphéons, souvent subventionnée par des entreprises privées ou des municipalités, ont comptés des centaines de milliers de choristes (amateurs) ou musicien. Il en est question dans l'ouvrage Une Histoire des festivals (les orphéons sont mentionnés dans le chapitre introductif du livre, Qu’est-ce qu’un festival ? Une réponse par l’histoire par Pascal Ory). Les orphéons sont aussi présentés par Pascale Goetschel dans l'entretien video concernant l'ouvrage (partie 1 - irruption des festivals)).

    La Rue, hebdomadaire Jules VallèsPour apporter une illustration de ce que pouvaient être ces orphéons, nous avons choisi un article contemporain des festivals orphéoniques, un article tiré de la revue "La Rue" de Jules Vallès, écrit par un de ses collaborateurs, Albert Brun. La description un brin ironique des participants du festival de l'Industrie de 1867, et plus généralement des orphéonistes de cette époque nous a paru valoir largement une caricature de Daumier, ou même une photographie d'époque...

    La Rue fut le premier journal fondé par Jules Vallès, en 1867, mais son existence fut éphémère puisque l'hebdomadaire fut interdit dès l'année suivante, en 1868, en raison d'articles qui concernaient la police. Jules Vallès fut alors condamné à deux mois de prison (Sainte Pélagie)... 

    Cet article décrivant les orphéons a été écrit à l'occasion du festival de l'exposition universelle de 1867, où 3.243 orphéons (rassemblant 147.500 chanteurs) furent invités, déclenchant les interrogations du petit Journal du 5 mars 1867 "en admettant qu'il n'en vienne que le quart, ou même le cinquième, où logera-t-on ces 30.00 orphéonistes arrivant le même jour par les sept chemins de fer aboutissant à paris et débouchant de tous côtés bannières en tête ?".  Si l'on en croit La Rue, il semble donc qu'il n'en vint "que" 8.000.

    LES ORPHÉONS, description de 1867
    Au temps de l'exposition universelle


    Les orphéons, exposition universelle de 1867, article d'Albert BrunHuit mille hommes, huit mille voix (à ce qu’ils disent) viennent faire trembler les vitraux du transept, dans le Palais de l'industrie.

    Il y a de tout parmi eux: des Gascons ne doutant de rien et connaissant Paris comme leur poche, avant d’y avoir mis les pieds; des Provençaux secs et rudes ou taillés comme les hercules des luttes; des gens du pays bas, comme on dit dans le Midi, brûlés par en soleil torride qui mûrit la vigne et l'olivier; de joyeux compères Bourguignons; des Bordelais gouailleurs avec de grosses bagues aux doigts; des Picards bons apôtres ; des Lorrains, grands buveurs de bière; des Alsaciens roux, passionnés pour les saucisses et le choral.

    Ils se promènent dans Paris en désoeuvrés, par escouades de quatre, cinq, six ou quinze, semblables aux prisonniers d'Italie ou de Crimée.

    Ceux du Nord, grands, rouges, la démarche un peu lourde, généralement coiffés d’un feutre mou, vètus d’habits amples, passent silencieusement sur les trottoirs, et recherchent, non curieux, les brasseries solitaires, chères aux fumeurs.

    Les cohortes du Midi, vives, criardes, pétulantes, sont infatigables, dès l'aube sur pied, elles arpentent la grande ville dans toutes les directions.

    Ces petits hommes secs, nerveux, au teint hâlé, semé de taches de rousseurs, au front un peu bas et fuyant, aux dents presque, toujours blanches et belles, qu’ils montrent en riant, d’ordinaire sans y songer, veulent tout voir, tout entendre ; ils admirent peu.

    Les orphéons, chant choralVolontiers leur regard suit les petites dames et ils ne sont pas embarrassés pour répondre à leurs œillades par quelques goguenardises qu'ils assaisonnent de lazzis intimes dans le patois du pays, en se regardant les uns les autres avec force gaieté.

    Toujours prêts il chanter, le soir, sans les sergents de ville, i!s aimeraient à rentrer au gîte en entonnant un de ces refrains de nuit, qui font, en province, sauter du lit même les amoureuses, lever les persiennes et applaudir les chanteurs.

    Ici, à Paris, ils sont un peu gênés dans les entournures. Vêtus depuis le jour de leur arrivée des habits du dimanche, de la lévite noire qui date de cinq ans, plissée et à blouse, au col haut, cachant la nuque, très étroite aux épaules, aux manches tombant sur les ongles comme les soutanes des ecclésiastiques de campagne, ils n'ont pas l’entrain que donne le chez soi et le débraillé de la ville natale.

    Les moniteurs ou chefs de section du chœur portent le chapeau noir de forme archaïque ; le gros des chanteurs incline sur l’oreille, à la façon crâne des zéphyrs d’Afrique, la casquette galonnée et liserée par un ruban de velours, amaranthe, vert ou gros bleu.

    Une lyre au-dessus de la visière, une lyre sur les revers de la redingote ; certains se chamarrent d'une langue de soie cerise frangée d'or et brodée au chiffre de la Société.

    __

    Concours exposition universelle 1867. Les orphéonsTant qu'ils sont à Paris, l’ardeur du concours resserre les liens de leur confraternité, ils vivent presque ensemble.

    Chaque orphéon marche en masse ou à peu près, et les frères-chanteurs ne se quittent guère, qu’il s’agisse d’aller au café, au cabaret, au théâtre, à la promenade ou chez les ribaudes.

    Au pays, c’est autre chose, chacun chez soi, chacun pour soi. — Les petites inimitiés, rivalités et manœuvres qui ont présidé à lu formulion de l’orphéon, subsistent toujours.

    La ville de V..., sous-préfecture, a une société chorale; nous, pourquoi n’en aurions-nous pas ? Allons, organisons, cherchons! Dans les cantons où M. le curé-doyen domine, où les chantres du lutrin ont formé le noyau de la Société, on donne un nom de saint à l'orphéon : les Enfants de Saint-Jacques, les Compagnons de David.

    Si le pays est libre-penseur, joyeux et voltairien, ce sera: les Enfants du Délire, les Fils de l’Aquitaine, la Lyre Bitteroise, etc.

    Les orphéons mixtes s'intitulent Clémence-lsaure, par exemple; souvenir d’une légende locale.

    festival choral de 1863, illustration. OrphéonsDans toutes les petites villes, l’orphéon se compose du chœur du lutrin, de quelques vieux amateurs qui jouent de la flûte dans leur après-midi pour se distraire, des employés aux assurances, des clercs de notaire, d'huissiers, des fils de l'hôtelier du lion d'or ou du Café-français, de quelques désœuvrés et des mauvais sujets possédant deux ou trois arpents de terre au soleil, un peu de voix, et qui pensent pouvoir mieux séduire ainsi les filles des environs aux fêtes patronales.

    Généralement la direction des études et le commandement absolu du cœur est confié à un pauvre coureur de cachets de la ville voisine et gagiste au 13° léger. Il joue du violon, touche un peu du forté-piano, accompagne modérément avec la contrebasse, fait assez bien siffler le flageolet, et finalement a composé un refrain et une romance avec les paroles de son ami le receveur de l'enregistrement, lequel envoie régulièrement des épîtres contre le Siècle aux jeux Floraux du Languedoc.

    Son plus grand succès est l'instruction des enfants qui font les petites parties élevées.

    Au moment du conseil de révision, ce presque neveu de Rameau sue tout son sang. — Les gamins écorchent la langue poétique des cantates; le malheureux s'égosille pour chasser de leurs gosiers opiniâtres les cuirs intraitables qui ne veulent pas en sortir. —

    " Les plus sanglants h â â â sards "  leur vocifère-t-il toute la sainte journée.

    Les enfants ont compris : il est satisfait. Mais le lendemain, au moment où monsieur le préfet, monsieur le maire, le chirurgien major, le Conseil général, les gendarmes, sont rassemblés sur l'estrade de la mairie avec un aplomb imperturbable, les mioches lancent aux oreilles de la grave assemblée les plus ma-magnifiques liaisons fantaisistes de la langue...

    Nous jurons d'affronter
    Les plus sanglants zasards ! I....

    Le préfet sourit, mais M. le maire, qui gagné beaucoup d’argent dans les farines, n’a pas saisi...
    __

    l'exposition universelle de 1867. OrphéonsDans les grandes villes, l’organisation des orphéons est plus rapide et bien différente.

    Quelques dilettanti s’occupent d'abord de chercher des fonds et de nommer le directeur, qui est généralemcnt le chef d’orchestre du Grand-Théâtre. Le maire est protecteur-né du chœur.

    Les première enrôlés sont les vieux figurants qui, depuis vingt-cinq uns, sont rompus aux chœurs de la Juive, de Lucie. Viennent ensuite des sculpteurs, des ornemanistes, des tourneurs, grands amateure du parterre — ils ont une voix de Martin ; les plâtriers aux notes légères, vocalistes d'instinct, sont les ténors; les charcutière fournissent les basses sonores, les cordonniers et les bouchers les barytons.

    On se réunit d’ordinaire dans un vieux local, propriété communale, ci-devant couvent ou monastère, ou dans un vieux collège, bâtiment lézardé, servant autrefois à des cours de facultés.

    Les répétitions ont lieu le soir, vers neuf heures, après le souper. — A la sortie, il n’est pas rare de voir les femmes des chanteurs venir les guetter.

    Car le chanteur aime à rire, à boire, à flâner, à voltiger, et la bourgeoise le sait bien.

    Que de fois a-t-elle été cornette, pour s’être trop fiée à ces mots :

    Nous chantons ce soir la Retraite, ou le Combat naval. Je ne rentrerai qu’il minuit, Mariette !....

    Une autre fois le prétexte du guilledou est une réunion pour l’achat de la Bannnière.

    La Bannière joue un grand rôle, elle marche en tête, dans toutes les solennités.Exposition universelle de 1867. orphéons

    Celui qui a l'honneur de la porter n’est pas chanteur, c’est un dévoué, un empressé, une façon de familier de la Société.

    Et quelle fête lorsqu'il faut aller concourir à Bordeaux, à Marseille, à Paris, à Paris surtout!...

    Dix jours de liberté ! dix jours de plaisir pour presque rien !...

    Plus de boutique, plus de ménage, plus de marmots... La noce pendant dix jours, et voir la capitale !

    Combien se sont enrôlés dans l’orphéonat seulement pour ce voyage !

    __

    Aussi, il fallait les voir dimanche, dans le Palais de l’industrie, affairés, préoccupés, allant, venant, s’appelant, se cherchant, sifflant mille cris de ralliement..

    Palais de l'Industrie, exposition universelle de 1863. Orphéons

    Brunis par la fatigue, les bouffées de fournaise des quais et la marche désordonnée dans Paris, ils s’étagent sur un vaste amphithéâtre. Leurs bannières sont déposées comme des dépouilles opimes entre des trophées de drapeaux tricolores entremêlés d'écussons.

    Le transept du Palais est resplendissant de lumière, de rayons finement tamisés par les vitraux de la voûte, qui laisse entrevoir des échappées de ciel d’un bleu profond, des traînées floconneuses de légèrs nuages fuyant rapides...

    La décoration de l’immense salle est grenat et or.

    Chaque pilier de fonte est masqué par les plis majestueux de larges et lourdes draperies se rejoignant par de vastes embrasses aux glands énormes, dont les grappes viennent traîner sur les tapis du parquet.

    Le long des extrémités des murs, tout en haut, à droite et à gauche du gigantesque ciel ouvert, sont suspendus comme des ex-voto ou des étendards conquis dans les batailles, des oriflammes légères, des banderoles semées d'abeilles. Leurs nuances tendres, claires, délicates, déjà même un peu pâlies, lilas, orange, maïs, bleu d'azur, vert de mer, groseille, etc., se perdent doucement dans une longue perspective gris d’argent et dans les buées étincelantes que les rayons du soleil versent parfois comme une pluie vermeille à travers la coupole de cristal.

    Honoré Daumier, OrphéonsDe longues estrades s’étendent en haut et en bas des parties latérales du transept.

    Mais l'auditoire n'est pas nombreux : quelques groupes isolés d'auditeurs, archipels très clairs-semés, apparaissent sur cette mer de stalles numérotées.

    Le sol de celle longue scène simule un parterre de fleurs dont les guirlandes et les haies de fleurs exotiques encadrent gracieusement les contours et les décorations de l'ensemble et du pied des amphithéâtres.

    Mais chut ! silence!

    Le chef d’orchestre ému, debout sur une chaire rouge, étroite et élevée, donne le signal.

    Huit mille voix alors éclatent à la fois et tout d'un coup, quel tonnerre!... Leurs éclats fracassants font trembler la voûte légère...

    Hurrah! bravo! Honneur aux orphéons de la vieille Gaule!

    En avant, une, deux, trois, à vous les basses, piano, les ténors!...

    Savoir supporter ses malheurs,
    c'est Ia bonne philosophie ;

    Il faut, il faut des fleurs
    Semer le chemin de la vie!....

    ALBERT BRUN.

     

    La Rue, article sur les Orphéons, journal de Jules Vallès 1867


    Terminons cette page avec une autre illustration, cette fois-ci sonore, des orphéons, mais non plus lors de leur émergence-apogée. Il en est plutôt question ici quand ils sont sur le déclin, en passe d'être détrônés par le cinéma et les clubs sportifs... 

    Le cinéma • France Inter - Antoine Prost - Si nous vivions en 1913, le cinéma était à l’époque le grand spectacle populaire …

     

     

     

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