• D’un désordre l’autre, Le Temps et Le Figaro des années trente au régime de Vichy (Philippe Jian)

    Thèse de doctorat soutenue par Philippe Jian le 20 mars 2012 à l’université Paris1 Panthéon-Sorbonne

    D’un désordre l’autre, Le Temps et Le Figaro des années trente au régime de Vichy 
    Le jury était composé de : Alain-Gérard Slama, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (président), François Chaubet, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense (rapporteur), Christian Delporte, professeur à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (rapporteur), Pascal Ory, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (directeur) et Patrick Eveno, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

     

    De juin 1940 à novembre 1942, Le Temps et Le Figaro s’installent en zone libre refusant de paraître sous contrôle allemand. Profondément choqués par les effets politiques et sociaux de la crise de la décennie d’avant-guerre, ils cèdent volontiers au projet vichyste de « l’inscription de la société dans la norme ». Ils n’en dénoncent pas moins, malgré la censure, les formes d’un nouveau désordre qui ruine tout espoir de voir la France retrouver l’ordre auquel aspirent les deux journaux depuis la rupture du consensus républicain au début des années vingt. Comme le constate Pierre Albert : « L’histoire de la presse démontre qu’en période de crise et de contrainte autoritaire, les lecteurs aiment lire leur journal entre les lignes. Ceux du Temps de juin 1940 à 1942 avaient beaucoup à lire dans leur quotidien. » Le jugement vaut également pour Le Figaro.


    Le désordre est d’abord lié à la Collaboration dont les deux feuilles redoutent qu’elle ne scelle la fin de l’indépendance nationale et n’amène les fascistes de Paris au pouvoir. En matière de politique intérieure, le désordre se traduit par le caractère inachevé de la réforme « indispensable » à la construction de la France nouvelle ; il se décline aussi au regard des articles emblématiques des ces organes de la presse libérale-conservatrice. L’éditorial du Temps se désespère de voir le nouveau pouvoir verser dans l’autoritarisme. Dans sa chronique, l’écrivain-journaliste du Figaro refuse d’associer l’ordre au moralisme et au dirigisme ajoutés au déshonneur que traduit à ses yeux l’inféodation de la France à son vainqueur ruinant toute velléité de relèvement. Le Temps et Le Figaro qui approuvent pourtant, mais du bout des lèvres, l’antisémitisme d’Etat, ne sont pas solubles dans « le bain à l’eau de Vichy ». Pour autant, il s’agit de se maintenir aux côtés du Grand Soldat qui incarne la continuité de l’Etat aussi longtemps que demeure son « royaume ». 

     

    Si notre travail participe de différents axes de recherche : histoire des cultures politiques, histoire du patriotisme, histoire des intellectuels, il apporte d’abord sa contribution à l’histoire de la presse quotidienne nationale en s’appuyant sur des sources variées : collection des journaux étudiés, archives publiques et privées ou livres-mémoires.

     

    Après avoir mis l’accent sur l’identité de ces deux feuilles de droite avant-guerre et consacré un long développement à la situation du Temps et du Figaro « sous la francisque » (lectorat, tirage, répartition du papier, situation financière, construction des éditions quotidiennes, rapports entretenus avec les services de la Censure et le gouvernement), nous nous proposons de porter un regard croisé sur ces quotidiens repliés à la lumière de leur ligne éditoriale partagée depuis la seconde moitié des années trente, et de leur culture journalistique à l’opposé l’une de l’autre.

     

    Le Temps, connoté comme la voix du grand patronat reçue par l’élite intellectuelle, politique et industrielle du pays, est par tradition un journal de référence. Le Figaro, quotidien de la bonne société dans sa diversité, aspire à le devenir sous la direction de Pierre Brisson. Mais leur culture diffère profondément. Tandis que Le Temps, insensible aux mutations de la presse quotidienne intervenue dans l’entre-deux-guerres, entretient en Révolution nationale sa réputation de feuille gouvernementale, Le Figaro, journal ancré dans son époque, a renoué avec l’esprit de Villemessant en cultivant l’anticonformisme, gage de sa liberté de pensée.

     

    Ces deux cultures jouent, selon nous, un rôle déterminant pour expliquer, à la Libération, la disparition du Temps et la reparution du Figaro. Considéré par ses propriétaires comme une institution française, le journal auquel Adrien Hébrard a donné son pli, n’est pas dirigé pas des journalistes de métier. Ses deux codirecteurs sont Jacques Chastenet, un banquier transfuge du Quai d’Orsay, et Emile Mireaux, un intellectuel lié au monde des affaires. A l’inverse, le quotidien de Pierre Brisson  est un avant tout titre à l’histoire chaotique. Il doit, en août 1944, au seul « PB », journaliste dans l’âme, de renaître dans Paris libéré.    

     

    Le Temps n’a pas sa place dans la République nouvelle : un journal de référence n’a désormais plus vocation à délivrer une pensée universelle valant ordre de mission pour les gouvernants. Sa reparution, même entre les mains de nouveaux actionnaires et sans ses anciens directeurs, serait revenue à maintenir une époque révolue. Demeure Le Figaro qui a su échanger son maréchalisme sincère contre la promesse de perpétuer à Paris ce qui a fait le succès du journal sous Vichy : « une fraternité véritable en dépit de toutes les divergences ». L’éclectisme doit se maintenir en démocratie. L’ordre a trouvé son journal des temps modernes, il a l’esprit… figaresque.


     

    Le Figaro 11 juillet 1940 - Pleins pouvois à Pétain

    Le Figaro 11 juillet 1940 (au lendemain du vote des pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain)
    source : Gallica   (cliquer sur la photo pour l'agrandir)


     

    Le Temps 12 juillet 1940 - au lendemain du vote des pleins pouvoirs à Pétain 

    Le Temps 12 juillet 1940 (surlendemain du vote des pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain)
    source : Gallica   (cliquer sur la photo pour l'agrandir)

     

    « Autour des morts de guerre. Maghreb - Moyen-Orient. Sous la direction deRaphaëlle Branche Nadine Picaudou et Pierre VermerenLe Parti socialiste unifié. Histoire et postérité - Noëlline Castagnez, Laurent Jalabert, Marc Lazar, Gilles Morin et Jean-François Sirinelli »

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