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La Garçonne et l'assassin - Histoire de Louise et de Paul, déserteur travesti, dans le Paris des années folles - Fabrice Virgili et Danièle Voldman
La garçonne et l'assassin.
Histoire de Louise et de Paul, déserteur travesti, dans le Paris des années folles.Fabrice Virgili et Danièle Voldman
Payot, 2011
coll. «Histoire», 176 pages
isbn : 978-2-22890-6500
prix : 16,50 €Paris 1911. Paul Grappe et Louise Landy s'aiment et se marient. Survient la guerre. Paul déserte, se travestit en femme pour ne pas être arrêté et, pendant dix ans, aux yeux de tous, vit avec Louise sous l'identité de Suzanne Landgard. Il entraîne son épouse dans de multiples jeux sexuels et acquiert même une petite notoriété en étant l'une des premières «femmes» à sauter en parachute. En 1925, avec l'amnistie, Suzanne redevient Paul. Pour le couple, les choses commencent alors à se gâter...
À partir d'archives étonnantes (photos, lettres, journaux intimes, documents judiciaires), Fabrice Virgili et Danièle Voldman racontent la très curieuse – et tragique – histoire de Paul et Louise, une histoire qui brasse les questions des traumatismes de guerre, du travestissement, de l'homosexualité, des «troubles dans le genre», de la virilité, des violences conjugales et de la complexité des sentiments amoureux.France Culture, la Fabrique de l'histoire. Emission du 7 juin 2011. Nous n’irons plus au bois - La drôle d’histoire de Paul Louise et Suzy, un documentaire de Anaïs Kien et Charlotte Roux
Paul Grappe et Louise Landy se sont aimés dans la Paris ouvrier de la Belle époque. Semblables à bien d’autres Parisiens, ils étaient issus de familles populaires, fraîchement immigrés de la capitale.
Ça commence comme ça, comme le livre de Danièle Voldman et Fabrice Virgili, la Garçonne et l’assassin. Une histoire sans histoire si la Grande guerre n’était pas passée par là. L’histoire de Paul et Louise exhumée des archives judiciaires c’est un parcours de vie, un fait divers à succès, un scénario idéal avec en guise de décor la France des années Folles. Pour certains ces années sont vivantes et flamboyantes, pour d’autres la décadence contamine l’ordre social, la famille, la France. Joséphine Baker et Rudolf Valentino prennent la pose, les garçonnes sautent en parachute, l’homosexualité et la bonne humeur sont à la mode, avec leurs cheveux et leurs jupes raccourcis des femmes sourient aux photographes, tout comme les hommes qui ont abandonné leurs barbes à la décennie précédente.
Le Paris des années folles c’est celui de Paul et Louise, l’arrière-plan d’une histoire d’amour qui finit mal.
Revue de presse des années folles
"Le meurtre de la garçonne", décrit par
Le petit Parisien du 19 janvier 1929
Source : GallicaLE MEURTRE de la
« garçonne » ou le déserteur métamorphosé en femme.
La meurtrière, Louise Grappe, comparaît aujourd’hui devant le juryUne femme brutalisée par un mari alcoolique et qui le tue, rien malheureusement de plus ordinaire, et c’est le crime de Louise Grappe qui sera jugé, aujourd'hui, en cour d’assise. Mais quel singulier roman que la vie de la victime ! Depuis douze ans du moins, car jusqu'en 1915 l'existence de Paul Grappe n'avait été que l'existence sans histoire d’un modeste ouvrier vivant tranquille et heureux avec sa jeune femme, Louise Landy, ouvrière elle aussi, qu'il avait épousée par amour.
Tout changea, en 1915, par suite d’un coup de tête. Paul Grappe était alors mobilisé à Chartres, dans un régiment d’infanterie. Menacé de punition, il déserta et, s’en vint tout simplement demander asile à sa femme.
Louise Landy n’eut qu'une pensée : se dévouer pour sauver son mari. Mais ce n’était pas tout qu’elle travaillât pour deux: il fallait encore dépister les recherches, et pas seulement pendant quelques semaines, pendant des années peut-être, jusqu'à ta fin de la guerre, jusqu'à la future amnistie ! Quelle épreuve que de vivre ainsi caché, sans voir personne et, en partie du moins, du condamner sa femme aussi à cette existence de reclus !
Pour y échapper, pour pouvoir vivre librement de la vie de tout le monde. Paul Grappe imagina de se déguiser en femme.
Grand, brun, l'air viril et bien musclé, le jeune homme ne se prêtait guère à la métamorphose. Elle réussit pourtant, grâce à de savants ajustements et à une électrolyse qui fit disparaître toute trace de cette toison par où s’avère la toute puissance de l’homme. Et pendant dix ans Paul Grappe ne fut plus que Mme Suzanne, une amie de sa femme venue loger avec celle-ci en l'absence du mari.
Sans doute, d’abord, y eut-il quelques alertes. Pour ne pas trop s’y exposer, Paul Grappe ne se montrait que le soir. Alors autre danger ! On jasa sur ces deux femmes dont l'une, en ouvrière laborieuse, passait ses journées à l’usine, dont on ne voyait l'autre qu’à la nuit tombante. On en jasait d’autant plus que, malgré tout, il perçait encore chez Mme 1 Suzanne des allures qui n‘étalent pas toutes de son sexe. Mais, peu à peu, on s’y fit. On crut s’être tout expliqué en baptisant Mme Suzanne « la garçonne », et tout fut dit. Désormais, plus besoin de se cacher, Grappe en vint même à s'exhiber. La garçonne courait les sports, briguant des championnats. Des journaux publièrent le portrait et vantèrent les exploits de Suzanne Landgard, parachutiste. Suzanne Landgard avait si bien remplacé Grappe que, l'amnistie étant enfin venue et sa situation ayant été régularisée, lorsque le déserteur reprit son sexe, la première fois qu’il sortit en pantalon, un vieux pantalon de velours, sa concierge ne put retenir ce cri de stupéfaction - « Mais Mme Suzanne devient folle ! ».
Avec son pantalon de velours, il sembla un moment que Grappe allait aussi reprendre sa vie d'autrefois, au foyer si fidèlement entretenu par sa pauvre petite femme. La naissance d’un enfant en promettait l’assurance, d‘un enfant mort depuis de la privation des soins maternels, par suite de l'arrestation de Louise Landy.
Mais durant le temps son changement de sexe, une autre métamorphose, singulièrement plus profonde, s’était opérée en lui. Il avait pris goût aux séductions de la débauche. Pour s'en donner les plaisirs, il avait fini, dans ses sorties du soir, par prendre le chemin du bois de Boulogne, en quête de rencontres et d'aventures dont ses prouesses de parachutiste multipliaient encore les occasions et qui lui procuraient du moins des facilités de fins soupers et d’orgies dans les cabarets où l’on s’amuse.
Sans doute l’heure du berger ne sonnait jamais. Mais, loin que l’attrait de la prétendue Suzanne Landgard s’en trouvât diminué, il s’en avivait précisément. Près de cinq cents lettres saisies dans sa malle, lettres d’espoir et de dépit, attestent que ses soupirants étaient légion.L’empreinte ainsi gravée dans l'âme de Paul Grappe ne tarda pas à réapparaître et à s’élargir en poussées de révolte, en habitudes de paresse et d’ivrognerie.
Il passait son temps à jouer de la mandoline, à suivre les réunions anarchistes où il se distinguait par ses violences, à courir les cafés où, pour se faire offrir a boire comme naguère, il exhibait l’album des photographies de Suzanne Landgard. Pour sa femme, il n’avait plus que menaces et brutalités.
Une nuit, la nuit du 21 Juillet 1928, qu'il était rentré plus menaçant que jamais dans leur logement de la rue do Bagnolet. Il rugissait comme un lion, a dit Louise Landy, — la malheureuse prit peur et, saisissant un revolver pour se défendre, elle le tua.
[Article suivant] Suffragette contre commissaire.
Une instruction est ouverte pour « arrestation arbitraire » contre le commissaire de police Siraut et tous autres
On se rappelle que le 5 novembre dernier, lors de l'entrée du parlement, des suffragettes manifestèrent boulevard Saint-Germain.
Non loin de ta rue Saint-Guillaume. un certain nombre de manifestantes furent arrêtées, parmi Iesqueîies Mme Maria Vérone, avocat à la cour, dirigeante d’un groupement féministe.
Mme Vérone porta plainte, quelques jours plus tard, pour arrestation arbitraire, contre M. Skiraud, commissaire divisionnaire chef du district.
M. Louis Dreyfus, premier président de la cour d’appel, saisi de cette plainte, chargea M. Lyon-Caen, avocat général, d'une enquête préliminaire, au cours de laquelle M. Siraut déclina toute responsabilité, la rejetant sur son collègue M. Rouget, commissaire du VIIe arrondissement.
A la suite de cette enquête, M. Dreyfus a commis M. Chouez, juge d’instruction, pour ouvrir une information contre M. Siraut et tous autres.
... Quatre ans plus tôt... "Mlle Suzanne" dite "la Garçonne"
revit en Paul Grappe déserteur amnistiéLe petit Parisien 5 février 1925 Source : Gallica
« Sceaux et le « Grand Paris » - Emmanuel BellangerDirecteurs de théâtre, XIXe-XXe siècles, Pascale Goetschel et Jean-Claude Yon »
Tags : Danièle Voldman, Fabrice Virgili, garçonne, homosexualité, travesti, genre, années folles, déserteur, travestissement, 1914 1918, Paul Grappe, 1914
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